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BRUXELLES | Bruxelles n’est plus marqué par l’effervescence. Plus de chat dans la rue, plus de voitures qui roulent et très peu sur les places de parking. La ville est vide. Les autoroutes qui y mènent également. Et le QG du MR sur l’Avenue de la Toison d’Or s’est vidé. Sur une feuille A4 derrière une fenêtre se trouve le numéro de la secrétaire du président, neuf étages plus haut, le seul endroit du bâtiment où il y a encore de la lumière. Celle-ci descend rapidement par l’ascenseur pour nous ouvrir la porte, le bouton pour effectuer cela en temps normal menant à l’accueil déserté, au premier étage. Nous nous rendons à l’étage par ascenseurs séparés. « Sinon, nous nous trouverions trop proches l’un de l’autre. Les ascenseurs sont trop petits » nous dit-elle aimablement. Celui qui a déjà pris cet ascenseur avec l’armoire à glace Denis Ducarme sait qu’elle n’exagère pas.

Georges-Louis Bouchez ne porte pas de cravate, mais en ce qui le concerne, il n’y pas grande chose de lockdown. Costume, cheveux l’air de rien, barbe rasée. Ultra occupé et ses deux smartphones qui n’arrêtent pas de sonner et de retentir. Il se tient sur le pas de la porte de son chef cab’, Axel Miller, le CEO de Dexia au moment de la crise bancaire. Nous sommes mercredi, deux jours avant que BNP Paribas rebrousse chemin (DS 3 avril) et décide de ne finalement pas distribuer un dividende de 1,9 milliard d’euros à sa maison-mère française. Bouchez avait déjà annoncé plus tôt dans la semaine que les entreprises qui recevaient des aides de l’Etat dans le cadre de cette crise et qui distribuent un dividende devront alors payer un impôt de crise. Mais sur les 1,9 milliards, ils cherchent encore ici à se positionner. « Je ne suis pas un révolutionnaire, hein » dit Bouchez à Miller. « Si nous n’autorisons pas les entreprises saines à déplacer des capitaux au sein de l’Europe, alors il ne nous restera bientôt plus rien. »

Lorsqu’un peu plus tard, nous serons assis l’un en face de l’autre autour d’une grande table de réunion, à distance de sécurité, il me résumera leur point de vue. « La question la plus importante pour moi c’est si ce dividende a un impact sur la capacité de BNP d’octroyer des crédits en Belgique. C’est cela la vraie question. S’ils peuvent octroyer les crédits nécessaires et qu’en plus ils ne reçoivent pas d’aides de l’Etat pour le chômage temporaire par exemple, alors ils peuvent faire ce qu’ils veulent. À ce moment-là, ils font en sorte qu’il y ait suffisamment de liquidités dans l’économie et ils remplissent leur fonction en tant que banque. Mais cela, nous devons le vérifier. »

Deux jours plus tard, le problème s’est résolu de lui-même. BNP retient son dividende. Mais un autre problème où les libéraux se débattent semble plus tenace. Car la pression sur la ministre de la Santé Maggie De Block du parti-frère Open VLD devient plus importante au fil de la journée. Le feu chauffe principalement du côté francophone, où il est également appelé à sa démission. Bouchez tient tête. En partie, du moins. « Faire usage d’une crise comme celle-ci pour obtenir le scalp de quelqu’un, ce n’est pas honnête. Lorsque tu fais face à un défi comme celui-ci, tu dois d’abord répondre à ces défis. L’évaluation, c’est pour après et à ce moment là on tirera les conclusions. Mais comme la CSC maintenant qui demande sa démission!  Imaginez une minute que nous, à ce moment, changions de ministre à un département aussi crucial. Qu’est ce que vous pensez qui va se passer ? Tout d’un coup, il n’y aura pas 1000 contaminés de moins avec le coronavirus et il n’y aura pas tout d’un coup deux millions de masques qui tomberont du ciel ».

Juste avant ces problèmes avec les masques, n’y a-t-il pas quand même d’autres responsabilités à mentionner ?

« En 2017, on a pris une décision de gérer le stock d’une autre manière, et maintenant en 2020, nous n’en voyons toujours pas les résultats. C’est donc soit une responsabilité du cabinet, soit du SPF, soit des deux. Il y avait également des millions de masques qui n’ont pas été conservés de la bonne manière, cela nous devons l’analyser. Cela n’est pas acceptable. Mais pourquoi y-a t-il un manque de masques et de matériel de protection ? Très simple : parce que la demande a explosé, partout dans le monde, et qu’il y a effectivement une offre, mais que ca prend du temps pour nous organiser. Personne n’était préparé à ce que nous connaissons. Même ceux qui ont des capacités de production, ils ne peuvent pas doubler leur production d’un claquement de doigts. Mais tout le monde sait mieux que tout le monde maintenant, certainement les experts sur Twitter (il lève les yeux). Mais si je vous avais dit il y a deux mois que Bruxelles serait vide aujourd’hui, et que nous aurions besoin d’un milliard de masques, vous auriez dit que ce youngster du MR avait perdu les pédales. »

C’est possible. Mais expliquez-nous pourquoi De Block est principalement attaquée du côté francophone ?

« J’y vois plusieurs éléments. Tout d’abord : l’apriori n’est pas le même qu’en Flandre. Beaucoup de francophones qui l’attaquent en ce moment, le faisaient déjà avant. Parce qu’elle a mené des réformes qui ne leur plaisaient pas. Peut-être qu’elle a fait des erreurs à certains moments, mais cette analyse, nous la ferons après, pas maintenant. Et un peu d’humilité en cette période ne ferait de mal à personne. Gérez-la, hein, vous cette crise !

Un deuxième élément, c’est la langue. Maggie parle français, oui. Mais… le ton n’est pas tout à fait le même que pour les francophones, vous voyez. Avec son choix de mot, elle donne parfois l’impression de manquer parfois, euh… de sensibilité, qu’elle n’a pas assez de coeur. »

De Block dit les choses comme elles sont, c’est vrai. « reste dans ton kot », ce n’est pas une suggestion aimable.

« Et bien voilà. Et c’est ça qui heurte un petit peu la sensibilité latine du côté francophone. Sa communication peu à cet égard parfois paraître problématique. »

C’est dur. Elle s’adresse, comme il en convient pour un ministre fédéral, aux citoyens dans les deux langues du pays, et parce que ce n’est pas parfait, elle en paye le prix ?

« Ecoutez, en Flandre, vous trouvez que nous utilisons trop de mots pour exprimer ce que nous voulons dire. En tout état de cause, ce n’est pas ce qu’elle fait. Mais les francophones, et c’est comme ça, ont besoin de ces mots. Des mots qui ne parlent pas directement sur le fond de la crise – y-at-il assez de masques ou non, lits d’hôpitaux…- mais qui font du bien au cœur. Et elle n’utilise la plupart du temps pas ces mots. Ma maman est italienne et je suis originaire du Hainaut. Là cette sensibilité pour ce genre de choses est grande. Et croyez-moi, parce que je fais partie d’un parti de droite, je m’en aperçois encore plus fortement. Car la gauche fait encore cela beaucoup, utiliser des mots qui atténuent la situation. Mais maintenant, dans une telle crise, tout le monde a parfois besoin de mots qui rassurent. »

« Mais en ce qui concerne les masques, oui là il y a un problème, mais c’est à une échelle plus grande que la Belgique. Je ne minimalise rien, hein. Les gens qui sont au front dans les hôpitaux doivent avoir le matériel approprié. C’est crucial. Mais est-ce que c’est la faute de Maggie De Block ? Je pense que c’est beaucoup plus compliqué que ça. Beaucoup à sa place n’auraient pas obtenu des résultats très différents des siens. Les Français ont bombé le torse annonçant qu’un milliard de masques étaient en chemin. Je dois encore les voir, hein, ces masques. »

Le fait que cette crise sanitaire coïncide avec une crise politique d’une grande intensité ne facilite pas les choses.

« Cette crise politique, celle-là n’existe qu’en Flandre. Chez nous, elle n’existe pas. »

Allez.

« Je n’ai pas vu du côté francophone de grands débats ou de discussions comme en Flandre sur la manière avec laquelle le gouvernement a vu le jour. Seulement chez vous! Incroyable. Des heures et des heures de débat sur ce que les francophones avaient fait. Chez nous, deux articles et c’est tout. »

Parce que tous les partis francophones, à part le PTB, sont favorables à la solution actuelle.

« Puis-je rappeler que la N-VA a conclu en connaissance de cause un accord dimanche soir avec tous les autres partis ? »

Sur les pouvoirs spéciaux, oui. Mais pas sur la confiance au gouvernement.

« Non, non. Bart De Wever (N-VA) était assis à côté de moi. Je sais que l’accord ce soir-là avait trait aux deux. Il y avait de l’ambiguïté chez certains présidents, c’est certain. Bart aussi n’a pas ouvertement dit, oui oui, je vais voter pour les pouvoirs spéciaux et la confiance. Mais la conclusion de ces 48 heures de discussions que nous avons eues, c’était une sorte d’ « union nationale ». Comment cela s’est déroulé ? A un moment donné, il y avait 6 partis autour de la table, les libéraux, les socialistes, la N-VA et le CD&V. La N-VA recevrait un vice-premier ministre et les socialistes aussi. Mais cela ne marchait pas. La N-VA voulait bien, mais pas le PS. C’est toujours comme ça. Quand un des deux est d’accord avec quelque chose, l’autre ne l’est pas. Situation purement pavlovienne. Les socialistes ont donc demandé d’amener les verts. En conséquence de quoi le CD&V a pris à bord le CDH. A ce moment-là, nous étions 9. C’est pourquoi j’ai dit que nous devions choisir. Ou bien nous cherchions une majorité simple et alors il y avait 2-3 partis en trop autour de la table. Ou bien nous prenions la direction d’une union nationale. Et alors nous devions amener Défi. Hop, suspension, problème, ennuis. Mais à la fin nous avons appelé François De Smet (président de Défi), et c’était en ordre. Lorsque cette réunion s’est terminée quelques heures plus tard, il y avait donc une union nationale. Aussi bien pour les pouvoirs spéciaux que pour le gouvernement. Pour les deux. C’était par contre clair que Conner Rousseau (SP.A) ne semblait pas heureux, que le CD&V n’était pas super enthousiaste et que Bart l’était encore moins. Mais c’était bien l’esprit de la réunion. Lorsque celle-ci s’est terminée, Bart a pris sa veste, fait son sac et il est parti directement. C’est pourquoi Patrick Dewael (Open VLD) et Sabine Laruelle (MR) ont fait la conférence de presse à deux. J’aurais préféré voir les 10 présidents se tenir derrière eux. Mais bon, Bart était déjà parti et De Smet était déjà à bonne distance. Mais à ce moment-là, et c’est ce que Dewael a dit également, il était question d’union nationale. »

Après tout ce qui s’est passé ce même dimanche, Paul Magnette (PS) qui vient avec son bazooka en direct sur RTL, Jean-Marc Nollet (Ecolo) qui acquiesce, et vous avec la Première Ministre Sophie Wilmès (MR) dans les rangs qui plaidez également pour le soutien au gouvernement existant, vous ne pouvez pas vraiment attendre que tous ces présidents de partis flamands se tiennent en souriant sur la photo, si ? D’autant plus après qu’ils aient eu la chance d’obtenir le gouvernement qu’ils voulaient, avec le PS et la N-VA.

« Oui, c’est peut-être à nouveau mon côté romantique, latin qui pense que ça doit être possible ».

Vous connaissez le mot ‘wereldvreemd’?

(il rit) « Cette crise, cette crise sanitaire, celle-là elle est tellement grave que personne n’est plus occupé avec ces jeux politiques. Les flamands ont peur que leurs parents, leurs enfants, eux-mêmes, puissent développer le virus. Tout comme dans le reste du pays. Et de savoir si la crise peut être résolue par le MR, la N-VA ou n’importe qui d’autre : ils s’en foutent ! »

Qu’est-ce que vous avez pensé lorsque Bart De Wever s’est proposé comme premier ministre ?

« Bah… Il a le droit de le dire, naturellement (il réfléchit). Mais de quel gouvernement voulait-il être le Premier Ministre ? Un gouvernement soutenu par le PS ? Ah bon. Je n’ai pas l’impression qu’il pourrait recevoir maintenant le soutien des verts, ou des socialistes, surement pas du côté francophone. Avec le PS et la N-VA, on aurait pu ce soir-là continuer de négocier encore 1000 ans, ça n’aurait rien donné. Ils n’étaient d’accord sur rien, même pas sur le cadre des négociations. Y-at-il encore un flamand qui pense que le problème se trouve autre part que dans la relation PS-N-VA ? »

Comment Charles Michel (MR) a pris l’affront de la N-VA ? Le pays du président du conseil européen est le seul à tourner le dos aux fonds européens pour le coronavirus.

« C’est tout simplement incompréhensible. Surtout parce qu’il s’agit de montants qui ne sont pas follement élevés et qui sont déjà répartis. Depuis le début de la crise du coronavirus, on voit que la N-VA souffre d’une position qu’ils ont du mal à tenir. Dans ce parti, certains pensent que nous, au MR, voulons nous venger pour la chute du gouvernement, fin 2018. Non-sens. C’est vrai, c’est arrivé. C’est la politique. Si tu ne peux rien y faire, tu dois faire autre chose. D’ailleurs, s’il n’étaient pas sortis du gouvernement, ils auraient pu gérer la crise eux-mêmes. Alors, ça aurait été Jan Jambon (N-VA) qui aurait été partout à la place de Pieter De Crem (CD&V). Tu ne peux pas te plaindre d’une situation que tu as toi-même créé, si ? Si le PS et la N-VA étaient parvenus à un accord plus rapidement, alors ils auraient les clés en main. Mais je ne vais pas m’excuser parce que nous avons des gens extrêmement compétents dans notre parti. »

Comment est-ce que nous allons un jour nous remettre du coronavirus ? Chercher 12 milliards, ça n’a pas marché, maintenant on doit en trouver 30.

« Nous devons en tout état de cause pas jouer à Saint Nicolas. Le gouvernement doit aider les gens et les entreprises à traverser cette crise. Mais nous ne parviendrons pas à compenser à 100%. Il y aura des pertes de revenus. Nous devons faire en sorte que les gens puissent encore payer leur facture et qu’il y ait aussi peu de faillite que possible, mais nous ne pourrons pas nous endetter à l’infini. Si nous sommes trop généreux maintenant, alors les gens pourront aller un peu plus loin, mais ils risquent de perdre leur emploi dans les 6 mois. Il ne faut pas qu’on meurt guéri. Ce n’est pas l’objectif que nous mourrions économiquement lorsque nous serons guéris du coronavirus. »

« Nous devons investir dans les entreprises qui restent réellement viables et qui peuvent participer à la relance. Les entreprises qui ne sont pas saines, et qui chavirent en ce moment, celles-là nous ne pouvons pas les sauver, aussi dur que cela soit. Nous sommes en chemin vers une récession de 2,4 pourcents. Quand Macron dit que personne ne perdra un euro dans la situation actuelle, c’est clairement un mensonge. Nous devrons tous faire des sacrifices. »

Qu’est ce que vous voyez changer d’après vous ? Sur Twitter, vous vous êtes lancés dans des discussions sur les conséquences de la mondialisation.

« Et dans ces messages, je me suis positionné contre ceux qui veulent nous renvoyer au Moyen-Age. Ce virus n’est pas apparu à cause de la mondialisation, hein. En raison de la mondialisation, cela s’est propagé plus vite qu’avant, ça oui. Au Moyen-Age, il fallait 10 ans pour ça, maintenant 10 jours. Mais la mondialisation accélère aussi les réponses. Nous pouvons partager la connaissance beaucoup plus vite qu’avant et travailler ensemble à des solutions. Certains pensent qu’une nouvelle ère est arrivée dans laquelle nous ferons tout nous-même. Vous voyez cela arriver ? Une marque belge de voitures, faire des smartphones nous-mêmes, construire des avions belges ? Cela n’aurait pas de sens, car nous ne pourrions de toute façon plus voyager. Les amis allez, cela ne marche pas comme ça. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.  Les gens veulent bouger, ils veulent découvrir, ils veulent la liberté. »

« Il y a beaucoup de gens qui auront perdu des êtres chers à cause de cette épidémie. C’est horrible. Ils doivent vivre leur deuil dans des circonstances malheureuses. Mais à quoi ont été confrontés tous les autres tout d’abord ? Au manque de liberté. Les gens veulent la liberté. Je m’oppose donc à ceux qui considèrent ceci comme une chance pour nous laisser nous replier sur nous-mêmes. »