Skip to main content

Le 12 décembre est la Journée internationale de la neutralité. S’il s’agit à l’origine de désigner, comme le fait l’ONU, « la position d’un État qui ne prend pas parti de façon directe ou indirecte entre deux ou plusieurs autres États qui sont en conflit ou en guerre », la neutralité de l’État est aujourd’hui au cœur de bien des débats qui n’ont plus grand chose à voir avec la politique internationale, puisqu’il s’agit de gestion de la diversité convictionnelle au sein d’un État.

Pendant des siècles, l’Europe a été le théâtre de guerres de religion, qui trouvaient leur source dans la volonté d’un État d’opposer à tous ses habitants la même religion. Ceux qui pratiquaient un autre culte que la religion officielle étaient persécutés et parfois contraints de se convertir sous peine d’exil ou de mort.

C’est pour sortir de ces incessants conflits que s’est peu à peu imposée l’idée d’un État neutre, qui renoncerait à imposer à tous l’adhésion à une même religion et garantirait au contraire à chacun la liberté absolue de conscience.

Cette exigence de neutralité de l’État a débouché, en France, sur la loi de séparation qui, votée le 9 décembre 1905, fonde la laïcité, même si le terme « laïcité » n’apparait nulle part dans ce texte de loi.

En Belgique, nous n’avons jamais adopté une telle loi, mais n’en avons pas moins matérialisé au fil du temps l’exigence de séparation du politique et du religieux par diverses mesures législatives : suppression dans le serment prêté devant les tribunaux de la mention « Ainsi m’aide Dieu », dépénalisation de l’adultère, dépénalisation partielle de l’IVG, privatisation du Te Deum du 15 novembre, dépénalisation de l’euthanasie, accès au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels, etc. : toutes ces lois témoignent de ce que l’État ne prend pas parti sur des questions qui mobilisent inévitablement des convictions philosophiques ou religieuses. Ce qui permet à chacun, dans le domaine éthique, de décider pour lui-même et en toute liberté de conscience, de la manière dont il gèrera ces questions s’il y est un jour personnellement confronté.

Dans le même esprit, la Belgique a pris une série de mesures pour manifester que si elle avait un ancrage historique plutôt catholique, elle entendait désormais mettre cet ancrage à distance pour être cet Etat neutre et impartial dans lequel chacun se sent accueilli et respecté, quelles que soient ses convictions. C’est ainsi que les crucifix qui ornaient encore les bâtiments publics, jusqu’aux salles de classe de l’école officielle et au tribunaux, ont progressivement été retirés : il ne fallait pas qu’un quelconque administré puisse avoir l’impression, en entrant dans ces lieux où s’exerce la puissance de l’ État, que cette dernière se fondait d’une quelconque manière sur une religion particulière.

Certes, des questions subsistent. Ainsi, contrairement à la France, la Belgique reconnaît et subsidie un certain nombre de cultes, ce qui peut sembler difficilement compatible avec le principe de neutralité qui repose, en France, sur un régime de séparation. Le Centre Jean Gol a récemment publié une étude sur cette question. Lien étude « Faut-il revoir le système de financement des cultes ? »

De même, si depuis 1986, la législation belge impose que les animaux de boucherie soient mis à mort suivant la méthode la moins douloureuse, c’est-à-dire après étourdissement ou anesthésie, la même législation prévoit encore, uniquement en région bruxelloise, une exception religieuse pour rendre l’abattage compatible avec certains rites religieux. Or, le principe de l’exception religieuse est contraire à ce principe démocratique fondamental selon lequel la loi doit être la même pour tous. Le Centre Jean Gol a également publié une analyse sur cette question.

Découvrez l’analyse du CJG sur la question de l’abattage rituel

Par ailleurs, depuis plusieurs décennies, la question de la neutralité de l’État est réactivée sous une forme bien précise : celle des signes convictionnels. Si, dans une démocratie libérale, la liberté est la règle et l’interdit l’exception, peut-on autoriser des agents de l’État à afficher visiblement leur adhésion à une idéologie, qu’elle soit religieuse, politique ou philosophique ?

Cette question se cristallise massivement autour du voile islamique. Non pas parce que notre société aurait un problème particulier avec celui-ci, mais parce que ce sont très majoritairement des femmes musulmanes qui revendiquent le droit de pouvoir travailler dans la fonction publique ou d’exercer une fonction politique tout en conservant leur voile.

Il ne saurait cependant être question de prendre des mesures particulières pour un signe convictionnel précis ou une catégorie spécifique de la population. La loi, quelle qu’elle soit, doit valoir pour tous sous peine d’être discriminatoire. Et il est donc essentiel de traiter de la même manière tous les signes convictionnels, quelle que soit la conviction qu’ils expriment.

Il ne saurait pas davantage être question de traiter différemment d’un part les signes religieux, et de l’autre les signes d’adhésion à une idéologie politique ou autre, car la liberté d’expression ne protège pas plus les idées religieuses que les autres.

La question à laquelle nous sommes donc confrontés est la suivante : optons-nous pour un modèle de société multiculturaliste, dans lequel chaque agent de l’Etat manifeste visiblement ses convictions, quelles qu’elles soient ? Ou pour un modèle de société fondé sur l’interculturalité, dans lequel ils adoptent au contraire une neutralité d’apparence, dans l’exercice de leurs fonctions ?

Au Mouvement Réformateur, nous sommes convaincus de la nécessité d’exiger des agents de l’Etat une stricte neutralité d’apparence. La neutralité de l’État et l’impartialité de son action figurent d’ailleurs parmi nos priorités, traduites par une obligation de neutralité d’apparence pour tous les agents travaillant pour des structures publiques, ainsi que dans les organismes pararégionaux, les structures associatives et privées financées par les pouvoirs publics et pour les personnes en charge de fonctions électives.

Il est en effet urgent de sortir de l’insécurité juridique dans laquelle nous maintiennent les décennies d’attentisme des uns, conjugués aux coups de boutoirs de plus en plus fréquents des autres, qui font peu à peu céder toutes les digues en matière de neutralité de l’Etat. Plusieurs jugements récents confirment d’ailleurs que la neutralité de l’État pouvait légitimement prendre la forme d’une exigence de neutralité d’apparence pour les fonctionnaires.

Découvrez l’analyse du CJG sur les signes convictionnels dans la fonction publique

Et tout récemment, la Cour européenne de Justice a encore confirmé qu’une administration publique (en l’occurrence, la commune d’Ans) avait le droit d’interdire le port visible de tout signe révélant des convictions politiques, philosophiques ou religieuses à ses employés : une telle mesure, selon la Cour, « n’est pas discriminatoire si elle est appliquée de façon générale et indifférenciée à l’ensemble du personnel de cette administration et se limite au strict nécessaire. »

Si cette obligation de neutralité d’apparence limite certes la liberté d’expression, il s’agit d’une limitation acceptable dès lors que d’une part, aucun droit n’est absolu, et que de l’autre, il ne s’agit de limiter ce droit que pour les représentants de l’autorité publique dans l’exercice de leur mission, et ce dans un objectif légitime.

En effet, la distinction entre neutralité d’apparence et de service est peut-être séduisante au premier abord mais elle est en réalité absurde : si un fonctionnaire public n’est déjà pas disposé à apparaître comme neutre pendant l’exercice de ses fonctions, comment ne pas douter de sa capacité à rendre un service neutre ? Si l’objectif de la neutralité de la fonction publique est que les usagers puissent se sentir accueillis en toute impartialité, sans que les convictions du fonctionnaire ne puissent venir interférer dans le service rendu, il est inévitable que l’affichage de signes visibles de conviction suscite un doute légitime chez l’usager. D’autant que vouloir conserver à tout prix son signe convictionnel, en particulier lorsqu’il est religieux, c’est manifester qu’à ses yeux, la loi religieuse prime sur la loi civile, ce qui est en soi problématique dès lors qu’un agent de l’État ne doit, dans ses fonctions, être soumis à rien d’autre qu’à la loi civile.

Exemples : un couple homosexuel accueilli par un fonctionnaire manifestement catholique, un citoyen israélien portant kipa accueilli par une fonctionnaire voilée, un automobiliste venant chercher son permis de conduire accueilli par un préposé affichant son attachement à la mobilité douce, un étranger venant renouveler son permis de séjour accueilli par un fonctionnaire ouvertement sympathisant du Vlaams Belang, etc.

Un État neutre doit manifester cette neutralité de manière visible. À quoi bon retirer les crucifix des bâtiments publics et renommer nos congés scolaires si c’est pour que le personnel des administrations publiques affiche de manière visible ses convictions religieuses ou politiques ?

Dans la pratique, il est essentiellement question du voile islamique, que certains rebaptisent « foulard » afin de tenter de faire oublier qu’il ne s’agit pas d’un accessoire de mode, mais d’un marqueur d’appartenance religieuse. Les mêmes, trop souvent, considèrent comme discriminante et « islamophobe » toute mesure d’interdiction des signes convictionnels, dénonçant l’hypocrisie d’une telle interdiction générale ne visant en réalité que le voile.

Ne soyons pas dupes de cette argumentation fallacieuse : c’est au contraire la grandeur d’une démocratie de se saisir d’une question en la traitant de la manière la plus générale qui soit : qu’il s’agisse de femmes musulmanes, d’hommes sikhs, de sympathisants de la chasse ou d’opposants au nucléaire, il s’agit toujours de déterminer si les fonctionnaires peuvent ou non afficher leurs convictions pendant leur service. En gardant à l’esprit le fait que le service public doit avoir comme priorité d’accueillir chaque usager de manière neutre, et non de fournir de l’emploi à des personnes refusant de donner toutes les garanties de neutralité, y compris celle d’apparence.

Il importe également de comprendre que si l’on fait droit aux revendications actuelles de femmes musulmanes voulant conserver leur voile pendant leur service, l’administration n’en sera pas plus « diverse » ni « inclusive », au contraire : les usagers du service public des communes concernées auront alors affaire à des fonctionnaires voilées côtoyant des agents d’apparence neutre. Et cela  risque d’engager un réflexe communautaire chez les usagers, sans  contribuer aucunement à ce que les membres de véritables minorités religieuses se sentent accueillis de manière impartiale. C’est pourquoi ceux qui opposent neutralité et diversité se trompent : elles sont au contraire intimement liées, dès lors que plus il y a de diversité, plus il faut de neutralité.

Découvrez le livre de Nadia Geerts “Neutralité ou laitcité ? La Belgique hésite”

 

Découvrez la campagne sur la neutralité 

Soyez les architectes de votre succès ! Réfléchissez, décidez, agissez. Cliquez ici.