La Commission européenne s’apprêterait à parapher l’accord UE-Mercosur lors du prochain G20 à Rio, les 18 et 19 Novembre. Elle considère les négociations achevées et concluantes. Nous, les signataires de cette tribune, nous pensons que cet accord ne doit pas être signé en l’état.
Les accords de libre-échange sont un outil pour booster les débouchés pour les entreprises exportatrices européennes, étendre le soft power de l’Europe dans le monde, protéger nos indications géographiques et permettre une ouverture mutuelle de marchés publics. Ils peuvent être porteurs de croissance à condition qu’ils soient négociés correctement et de manière inclusive !
Il ne s’agit pas de tout arrêter mais de reprendre les négociations dans l’objectif d’adapter l’accord, dont le début des négociations remonte aux années 90, aux enjeux et aux priorités d’aujourd’hui. À nos yeux, l’objectif est la fin d’une Europe naïve et la volonté politique de passer d’un libre-échange totalement débridé, mettant à mal nos entreprises, à un juste échange.
Or, la Commission européenne – pour faire avaler la pilule de l’accord définit « vaches contre bagnoles », aux agriculteurs européens et aux États membres les plus réfractaires – a récemment évoqué l’idée d’un fonds de compensation pour les perdants, vraisemblablement les filières européennes élevage bovin et volailles, sucre et maïs.
Nous dénonçons l’hypocrisie d’une telle proposition.
La balance commerciale de l’UE vers le Mercosur est déjà négative de 15 milliards sur les produits agricoles, le Mercosur représente plus de 70% des importations européennes de viande bovine et 50 % de celles de volaille. Il est légitime de penser que l’accord aggravera la situation, étant donné que les coûts de production sont beaucoup plus bas et les produits du Mercosur sont ultra compétitifs par rapport aux produits européens. Le fonds de compensation, dont nous ne connaissons ni la nature ni l’ampleur, n’arrivera pas à combler le gap concurrentiel et les exploitations agricoles européennes mettrons la clé sous la porte.
Comment peut-on déclarer lors du discours sur l’état de l’Union en 2023 « garantir une alimentation saine (…) et l’indépendance de notre approvisionnement alimentaire » et, un an plus tard, décider de signer l’accord UE-Mercosur sans clauses de sauvegarde effectives, assorties de critères clairs, susceptibles de suspendre les importations en cas de déstabilisation du marché européen ?
Une concurrence qui est d’autant plus déloyale que les règles de production et les standards environnementaux ne sont pas du tout les mêmes. Les négociateurs européens de l’accord doivent savoir que l’Argentine et le Brésil disposent, per exemple, de 178 phytosanitaires pour leur production de maïs dont les trois-quarts sont interdits dans notre Union parce que nocifs pour la santé humaine ! De même pour la production de sucre l’usage des néonicotinoïdes est de plus en plus limité et encadré en Europe à cause de leur impact négatif sur la biodiversité, mais autorisés sans aucune restriction dans les pays du Mercosur desquels nous nous apprêtons à autoriser l’importation de 180 000 tonnes à taux de douane zéro. Comment peut-on faire de la sortie des pesticides une politique phare du Green Deal européen et signer l’accord UE-Mercosur sans l’introduction de clauses miroirs robustes susceptibles de garantir le principe de réciprocité dans les méthodes de production, couplées de contrôles et de sanctions ?
Et qu’en est-il de la protection de nos consommateurs ? Souhaitons-nous les exposer à des pesticides cancérogènes avérés ou aux antibiotiques de croissance ? Nous savons que la résistance aux antimicrobiens est responsable de plus de 35 000 décès par an dans l’UE. L’Organisation mondiale de la santé l’a d’ailleurs classée parmi les 10 principales menaces mondiales pour la santé publique. Comment est-il possible que la Commission européenne se soit fixée pour objectif de réduire l’utilisation des antibiotiques dans l’Union européenne de 50 % d’ici 2030 – ce qui fonctionne puisqu’entre 2018 et 2021, les 27 États membres de l’UE ont atteint une réduction de 18 % – et en même temps, qu’elle décide de laisser entrer dans le marché européen de la viande du Mercosur, où l’utilisation d’antibiotiques promoteurs de croissance est encore autorisée ? Lors de la négociation du CETA (accord UE-Canada) la Commission européenne a pourtant su imposer que les quotas d’importations de viandes vers l’UE devaient obligatoirement répondre aux normes européennes (sans hormone pour le bœuf, sans ractopamine pour le porc). La Commission ne remplit pas son rôle de garant de la protection des consommateurs européens puisque ces derniers ne seront pas en mesure d’éviter la viande en provenance du Mercosur, qui est d’ores et déjà très présente dans la restauration rapide. D’autant plus que le système de traçabilité n’est pas complet dans les pays du Mercosur et que les pratiques déloyales sont fréquentes, comme les viandes brésiliennes qui arrivent dans les ports européens et repartent avec un logo « made in UE ».
La question du bien-être animal ne peut pas être éludée. Peut-on accepter sans sourciller qu’au Brésil les animaux peuvent voyager jusqu’à 48 heures sans eau ni nourriture, alors qu’au sein de l’UE déjà 24 heures, avec des pauses toutes les 9 heures font débat ?
Enfin, il convient de rappeler que la planète est Une. Nous devons arrêter de gérer les problématiques en silo et adopter une vraie approche holistique. Ce n’est pas en délocalisant notre production agricole dans les pays du Mercosur que la planète ira mieux. L’Union européenne a tracé une feuille de route pour atteindre la décarbonatation à horizon 2050 et tenter de ralentir le réchauffement climatique. Son industrie et son secteur agricole sont en train d’investir énormément pour réussir la transition écologique. La préservation des forêts et de la biodiversité sont deux piliers de cette stratégie. Or la Commission Ambec, commission indépendante mandatée par le président de la République française, prévoit par exemple que la hausse des exportations vers l’Europe ferait augmenter la déforestation dans le Mercosur de 5 à 25 % par an au cours des six premières années d’application. L’augmentation des exportations de viande bovine vers l’Union européenne en serait la cause principale. Comment peut-on inscrire dans la loi climat l’objectif d’une UE neutre en Co2 à horizon 2050 et signer l’accord UE-Mercosur sans nous doter d’un pouvoir de sanction et de suspension de l’accord en cas de non-respect de l’accord de Paris ? Cela a pourtant déjà été fait dans le cadre de l’accord avec la Nouvelle Zélande.
Plus que jamais il est nécessaire d’arrêter avec la mauvaise foi. Les accords de libre-échange doivent nous servir à exporter notre modèle social et environnemental et non pas à le détruire.
Benoît Cassart, député européen