
À Anderlecht, commune cosmopolite et populaire de Bruxelles, Marcela Gori incarne une trajectoire rarement vue : née à l’étranger, arrivée sans papiers, devenue cheffe d’entreprise, avocate, maman de trois filles… aujourd’hui élue locale et vice-présidente du CPAS et Foyer Anderlechtois.
Elle défend une vision ambitieuse de l’aide sociale : un soutien pour se relever, pas un confort permanent.
Tu as un parcours de vie exceptionnel : arrivée en Belgique en tant que sans-papiers, aujourd’hui cheffe d’entreprise, avocate et maman de trois enfants. Peux-tu retracer les grandes étapes de ce chemin atypique ?
La première chose que je souhaite dire, c’est merci. Merci à la Belgique, mais aussi aux Belges pour l’accueil. Je n’oublie pas mes racines, mais je suis profondément heureuse d’être Belge. Je suis arrivée ici à l’âge de 13 ans, sans papiers et sans réseau. Comme beaucoup, j’ai dû apprendre vite, travailler dur et me battre 3 fois plus pour réussir.
Les premières années ont été celles de la survie et de l’adaptation : apprendre la langue, comprendre les codes, s’intégrer dans un pays qui ne vous attend pas forcément.
Progressivement, grâce à l’école, au travail et à une grande persévérance, j’ai pu construire une stabilité. En parallèle de mes études de droit, j’ai entrepris et fondé une société qui emploie aujourd’hui une quinzaine de personnes, avant de franchir ensuite le cap du barreau. Devenir avocate représentait pour moi à la fois une revanche sociale et, surtout, un moyen concret de comprendre les règles afin de mieux les appliquer — et parfois de contribuer à les faire évoluer.
Aujourd’hui, à 29 ans, je suis aussi maman de trois filles. C’est une responsabilité quotidienne qui m’ancre dans le réel et guide beaucoup de mes choix : je veux une société qui donne des chances, mais aussi qui responsabilise. Mon parcours m’a appris que rien n’est impossible, mais que rien n’est automatique non plus.
Comment es-tu passée de la société civile à la vice-présidence du CPAS d’Anderlecht ? Qu’est-ce qui t’a poussée à te lancer en politique ?
Je ne me suis pas engagée en politique par calcul ou par ambition personnelle, mais par besoin d’agir. Le besoin de sortir des discours déconnectés du quotidien, d’arrêter de parler à la place des gens sans jamais partir de leur réalité.
Mon parcours professionnel m’a permis d’observer de près les réalités sociales de notre commune et de notre région : la précarité, la montée de l’insécurité, mais aussi les limites d’un système qui, à force de multiplier les politiques de gratuité sans en avoir les moyens, finit par offrir peu de perspectives et encore moins d’ambition collective. Je refuse de voir mes enfants grandir dans une commune et une région où l’on gère le quotidien sans jamais construire l’avenir.
Le CPAS est un outil essentiel pour ceux qui en ont réellement besoin, mais il devient moins efficace lorsqu’il se limite à gérer l’urgence sans fixer de cap clair vers l’autonomie. La vice-présidence du CPAS d’Anderlecht s’est donc imposée comme une évidence : agir là où les décisions ont un impact direct sur la vie des personnes. Aider, oui, mais avec exigence, responsabilité et cohérence. Pour construire des solutions durables plutôt que d’entretenir des situations figées qui se répètent d’année en année.
Récemment, tu as proposé que tout élu communal maîtrise au moins une langue nationale, plaidant pour une meilleure communication avec les citoyens. Tu disais « on ne gère pas une commune avec Google Traduction ». Pour toi, est-ce un prérequis indispensable à l’exercice démocratique et au vivre-ensemble ?
Oui, clairement. La langue n’est pas un détail administratif, c’est un outil démocratique fondamental. À Bruxelles, et particulièrement à Anderlecht, les citoyens sont multiculturels, multilingues, mais l’administration repose sur des règles précises. Un élu qui ne maîtrise pas au moins une langue nationale dépend toujours d’un intermédiaire. Et dépendre, c’est perdre en responsabilité et en autonomie. Utiliser un traducteur automatique pour comprendre un règlement, un budget ou une décision juridique, ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas respecter les citoyens non plus. Ma position n’est pas identitaire, elle est pragmatique : bien comprendre, c’est mieux décider. Et mieux décider, c’est mieux gouverner ensemble.
De manière générale, je pense aussi qu’apprendre la langue du pays qui vous accueille est le minimum. Comment voulez-vous comprendre les documents administratifs, vous faire des amis, être en contact avec l’école de vos enfants. Trop longtemps, nous avons accepté que des gens vivent repliés sur eux-mêmes en autarcie.
Dans une carte blanche récente, tu pointais les dérives d’un assistanat qui, selon toi, désocialise plutôt qu’il n’aide, tu prônais un CPAS libérateur, pas un “piège à pauvreté”. Peux-tu nous exposer ta vision de l’aide sociale idéale : quels principes, quelles priorités pour que le CPAS soit levier d’autonomie et non de dépendance ?
L’aide sociale doit être un tremplin, jamais un mode de vie.
Un CPAS efficace, c’est un CPAS qui aide à se relever, pas qui installe dans la dépendance.
Ma vision repose sur quelques principes clairs :
- L’aide doit être conditionnée à un projet : formation, apprentissage de la langue, recherche d’emploi, insertion sociale.
- Chaque bénéficiaire doit être accompagné, mais aussi responsabilisé. Le droit implique des devoirs.
- L’effort doit être encouragé, pas neutralisé. Aujourd’hui, trop de personnes hésitent à reprendre un emploi par peur de perdre leurs aides.
- L’argent public doit être utilisé avec rigueur : aider ceux qui en ont besoin, pas alimenter des situations bloquées depuis des années sans évolution.
Un CPAS libérateur, c’est un CPAS qui redonne confiance, structure un parcours et fixe un cap clair : l’autonomie. Aider, ce n’est pas abandonner les gens à un système qui les enferme. C’est les accompagner vers leur indépendance.


