“Défense, énergie, technologie : la dépendance est notre talon d’Achille. La signature de l’accord Mercosur est dangereuse, quand l’Union européenne doit maintenir et renforcer sa souveraineté alimentaire.”
L’Union européenne, née à la suite de l’horreur de la Deuxième Guerre Mondiale, s’est construite comme un espace ouvert, fondé sur le droit, le dialogue, le commerce et la coopération. Ces principes sont nobles et nous ont permis de bâtir une paix durable, une prospérité et un marché unique d’une puissance inédite. Mais dans un monde où “le chaos n’est plus l’arme de l’insurgé mais le sceau du pouvoir” (Giuliano da Empoli, “L’heure des prédateurs”, Gallimard 2025), cette ouverture est devenue une faiblesse.
Depuis Bruxelles, nous refusons de voir que l’ordre mondial a totalement changé. Or, le droit international est régulièrement piétiné.
Les États-Unis et la Chine protègent leurs marchés, leurs industries et, surtout, leur agriculture. Ils le font parfois de façon brutale, parfois subtile, mais toujours avec une même logique : défendre leurs intérêts nationaux. Pendant ce temps, l’Europe ouvre ses frontières commerciales, baisse ses barrières, signe des accords de libre-échange déséquilibrés qui fragilisent ses propres producteurs.
Cet été, nous avons assisté aux “négociations” entre la présidente Von der Leyen et le président Trump sur les tarifs douaniers. Disons-le franchement, l’Union européenne s’est totalement fait rouler dans la farine !
Sans cligner de l’œil
Mais comment est-il possible que la première puissance commerciale au monde ait dû accepter toutes les requêtes formulées par les États-Unis sans cligner de l’œil ? La réponse est simple : la dépendance est notre talon d’Achille.
Pour sa défense et sécurité, l’Europe reste largement tributaire de l’Otan, c’est-à-dire des États-Unis. En termes d’approvisionnement énergétique, nous dépendons de fournisseurs extérieurs pour notre gaz et notre pétrole. Pour nos communications et la digitalisation de nos économies, nous dépendons de géants numériques américains ou chinois qui par ailleurs détiennent toutes nos données. Et même en matière de santé. Après la pandémie, qui avait révélé notre dépendance dangereuse aux chaînes de production extérieures, l’imposition de droits de douane de 15 % sur les produits pharmaceutiques européens (non génériques) brise trente ans d’engagements entre pays amis et menace à la fois l’approvisionnement en médicaments et l’innovation en matière de recherche médicale, en relayant la santé à pur secteur économique alors qu’il s’agit aussi d’un bien commun universel…
Cette dépendance se traduit par une perte de marge de manœuvre. Comment négocier d’égal à égal avec Washington ou Pékin quand nous savons que nous avons besoin d’eux pour protéger nos frontières, chauffer nos foyers, soigner nos citoyens ou faire tourner nos usines ?
Et quelle est la réponse d’une large partie des dirigeants européens à cette dépendance qui nous affaiblit et nous transforme en proie ? S’ouvrir davantage, signer des accords de libre-échange comme celui avec les pays du Mercosur, sans clauses miroirs en mesure de sauvegarder notre agriculture et donc notre souveraineté alimentaire.
Le bloc du Mercosur est une véritable superpuissance agricole, et nos agriculteurs européens ne sont pas en mesure de rivaliser avec les producteurs brésiliens. Certains défenseurs de l’accord mettent en avant le coût réduit de ces importations pour soulager les consommateurs face à la baisse du pouvoir d’achat. C’est une position totalement irresponsable. Après la défense, l’énergie, les technologies et la santé, voulons-nous devenir dépendants également pour notre alimentation ? Resterait-elle à prix abordable si notre production locale disparaissait ? Est-ce nécessaire de rappeler que produire suffisamment pour nourrir sa population constitue le premier pilier de la souveraineté d’un État ? Nous l’avons vu avec l’invasion russe de l’Ukraine : Moscou a utilisé les exportations de céréales comme un levier de chantage sur le reste du monde, provoquant instabilité et chaos jusque sur le continent africain. Ainsi, l’exemple de Gaza est tragiquement parlant : en détruisant les terres agricoles et en coupant l’accès à l’eau par l’arrêt des usines de dessalement, le Gouvernement Israélien recourt à la famine comme arme de guerre.
À la merci du chantage
La nourriture, tout comme le gaz ou le pétrole, est un moyen de pression géopolitique. Oublier cela, c’est s’exposer à des crises futures.
L’Union européenne doit donc maintenir et renforcer sa souveraineté alimentaire. Cela suppose de protéger nos agriculteurs, de garantir une production locale suffisante et le renouvellement générationnel, de soutenir la transition écologique sans sacrifier la résilience de nos filières. Car une Europe incapable de nourrir sa population dépendra des autres pour le faire, et se retrouvera tôt ou tard à la merci du chantage et de l’instabilité mondiale.
Dans ce contexte, continuer à signer des accords de libre-échange sur le dos de notre agriculture est une faute politique grave. L’accord avec le Mercosur en est l’exemple le plus criant. Faut-il sacrifier notre souveraineté alimentaire pour un accord qui engendrerait 0,1 % de croissance dans l’UE d’ici 2032, soit un montant additionnel estimé entre 10 à 20 milliards dans les scénarios les plus optimistes ?
Il ne s’agit pas de se replier sur soi-même, ni de fermer nos frontières. Mais il est urgent que l’Europe comprenne qu’une économie ouverte n’a de sens que si elle est aussi capable de protéger ses intérêts vitaux.