L’on croit souvent que pour augmenter les recettes fiscales, il faut augmenter les impôts. Or, il est possible d’augmenter les recettes en baissant les impôts ! Les accises sont un bon exemple ; en baissant les taxes sur certains produits, on décourage les consommateurs d’aller les acheter à l’étranger, ce qui augmente la consommation en Belgique et donc … les recettes !
Baisser les impôts pour augmenter les recettes : l’exemple des accises
Abstract
- Perte fiscale majeure : chaque année, la Belgique perd entre 1,5 et 2 milliards € de recettes (accises, TVA) à cause des achats transfrontaliers de carburants, tabac, alcool et biens de consommation.
- Effet volume > effet taux : une baisse ciblée des accises ou de la TVA pourrait rapatrier une partie importante de la consommation, générant 500 millions à 1 milliard € de recettes supplémentaires nettes.
- Bénéfices indirects : au-delà des recettes, cette politique soutiendrait le commerce local et l’emploi, réduirait le marché noir et améliorerait l’équité perçue de la fiscalité.
1. Un enjeu fiscal et économique majeur
La Belgique est confrontée à un problème structurel lié aux achats transfrontaliers. Si ce phénomène touche en premier lieu les produits fortement taxés comme les carburants, le tabac et l’alcool, il concerne également les biens de consommation courante. Attirés par des écarts de prix parfois significatifs avec la France, le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Allemagne, de nombreux ménages belges déplacent une partie de leurs achats hors du territoire national. Ces comportements privent l’État de recettes fiscales importantes, fragilisent le commerce de proximité et pèsent sur l’emploi dans les zones frontalières.
2. Les pertes fiscales liées aux accises
Les accises constituent une source essentielle de financement pour l’État. En 2022, elles ont rapporté environ 5,2 milliards € sur les carburants, 3,5 milliards sur le tabac et 1,1 milliard sur l’alcool. Or, une part importante de la consommation échappe aux circuits belges.
Pour le tabac, la consommation annuelle est estimée à environ 6 milliards de cigarettes. Les recettes fiscales actuelles avoisinent 3,5 milliards €, mais environ 15 % de la consommation est réalisée à l’étranger. Cela représente une perte comprise entre 500 et 700 millions € par an.
Pour les carburants, l’écart de prix moyen de 15 à 20 centimes par litre avec le Luxembourg entraîne une perte estimée entre 400 et 600 millions € par an, soit près de 10 % des ventes intérieures.
Pour l’alcool, la situation est plus nuancée mais les pertes sont également significatives, estimées entre 100 et 200 millions €, notamment pour les spiritueux fortement taxés.
Au total, les pertes fiscales liées aux accises dues aux achats transfrontaliers peuvent être évaluées entre 1 et 1,5 milliard € par an.
3. Les biens de consommation courante : une fuite silencieuse
Les achats transfrontaliers concernent aussi les biens de consommation courante. Dans certaines communes frontalières, jusqu’à 30 % des ménages effectuent régulièrement leurs courses à l’étranger. À l’échelle nationale, on estime que 1,5 à 2,5 milliards € de dépenses annuelles en alimentation et produits de grande consommation sont ainsi « délocalisés ».
Avec un taux de TVA standard de 21 %, cela correspond à une perte directe de 315 à 525 millions € de TVA chaque année pour l’État belge. À cela s’ajoutent des pertes indirectes : moins d’activité pour les supermarchés et commerces belges, donc moins d’impôt des sociétés, de cotisations sociales et de retombées économiques locales.
Si la Belgique parvenait à rapatrier seulement 25 % de ces dépenses, grâce à une fiscalité plus compétitive ou une baisse ciblée de la TVA sur certains produits, cela représenterait 400 à 600 millions € de chiffre d’affaires supplémentaire pour les commerces belges, soit 80 à 120 millions € de TVA additionnelle.
4. Pourquoi une baisse ciblée peut accroître les recettes
Une fiscalité trop lourde peut paradoxalement réduire les recettes lorsque les consommateurs déplacent leurs achats. À l’inverse, une baisse ciblée des accises permet de réduire l’écart de prix avec les pays voisins et de rapatrier une partie de la consommation.
Tabac
Une baisse de 10 % des accises (soit environ 0,60 € par paquet) coûterait mécaniquement 350 millions € sur les ventes domestiques actuelles, mais permettrait de récupérer environ 300 à 350 millions € en rapatriant la moitié des achats effectués à l’étranger. L’opération serait donc budgétairement neutre, voire légèrement positive.
Carburants
Une baisse de 5 à 6 centimes par litre réduirait l’écart avec le Luxembourg et permettrait de rapatrier environ la moitié des ventes perdues. Cela représenterait 250 millions € de recettes supplémentaires (accises et TVA incluses).
Biens de consommation
Une baisse ciblée de TVA (par exemple sur un panier alimentaire de base) pourrait rapatrier 25 % des achats réalisés à l’étranger, soit 80 à 120 millions € de TVA supplémentaire chaque année.
5. Effets indirects positifs
Au-delà de l’effet budgétaire direct, une telle politique comporte d’autres bénéfices. La réintégration d’une partie de la consommation dans le circuit légal réduit la taille du marché noir, ce qui diminue les coûts de contrôle et de répression. Les commerces frontaliers retrouvent une compétitivité accrue, ce qui soutient l’emploi local et l’investissement. Enfin, une fiscalité plus équilibrée renforce l’acceptabilité sociale de l’impôt : les citoyens perçoivent moins la taxation comme punitive et sont moins incités à chercher des alternatives à l’étranger.
6. Conclusion : une fiscalité à repenser dans un marché ouvert
La Belgique ne peut ignorer la réalité d’un marché européen ouvert où les frontières sont facilement franchissables. En cherchant à maximiser les recettes par des taux d’accises élevés, l’État perd en réalité une partie considérable de ses revenus. À l’inverse, une baisse ciblée et intelligente des accises, combinée à une attention particulière aux écarts de TVA et aux prix de détail, permettrait de récupérer entre 500 millions et 1 milliard € de recettes supplémentaires par an. Ce choix renforcerait à la fois les finances publiques, l’économie locale et l’efficacité de la politique fiscale.